NAM : Arménie : le précédent du Nakhitchevan et de l’Artsakh face à la controverse autour de la route de Syunik, par Hovhannes Guevorkian

En 1921, dans le contexte de l’intégration de l’Arménie au bloc communiste, les dirigeants arméniens acceptèrent la souveraineté de l’Azerbaïdjan soviétique sur le Haut-Karabagh et le Nakhitchevan. Ce choix, dicté à la fois par des considérations idéologiques et politiques, s’inscrivait dans la logique de l’internationalisme proclamé par le communisme : amitié entre les peuples, égalité des nations, effacement des classes dirigeantes. Dans ce cadre, revendiquer des droits pour les populations arméniennes de ces régions apparaissait comme secondaire, voire incompatible avec l’idéal universel affiché.
Un coût historique lourd
La facture pour les Arméniens fut considérable. Pendant près de 70 ans, sous le régime soviétique, les Arméniens du Nakhitchevan et du Karabagh subirent discriminations et pressions administratives de la part des autorités azéries, provoquant un exode progressif. Au Haut-Karabagh, la résistance à ces politiques mena, à la fin de l’ère soviétique, à la revendication de réunification avec l’Arménie, qui dégénéra en conflit ouvert. Trois décennies de tensions et de guerres ont causé des dizaines de milliers de morts. En 2023, l’Azerbaïdjan a achevé le déplacement forcé des 150 000 derniers Arméniens du Karabagh, mettant fin à une présence multimillénaire. La décision, consentie par les communistes arméniens, est devenue un dogme du droit international : celui de « l’intégrité territoriale », au nom duquel l’Azerbaïdjan a procédé au nettoyage ethnique.
L’idéal promis par le communisme – fraternité entre les peuples, égalité et coopération – n’a pas résisté à la politique turco-azérie d’effacement des Arméniens. Ce précédent pèse lourdement et s’est rappelé tout récemment, lorsque Bakou a mené à terme cette politique, confirmant que la logique initiée il y a un siècle reste pleinement à l’œuvre.
Un parallèle avec 2025
Un siècle plus tard, un nouveau dossier ravive nos inquiétudes : la déclaration signée le 8 aout 2025 par le Président de la République d’Azerbaïdjan et le Premier ministre de la République d’Arménie sur la « Route Trump pour la Paix et la Prospérité internationale », qui doit relier l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan via la région de Syunik, au sud de l’Arménie. Le gouvernement arménien considère ce projet comme une opportunité : vecteur de commerce, de prospérité régionale et de stabilité. Cette concession accordée au couple turco-azerbaïdjanais repose cette fois sur l’idéal du commerce international, garant de la prospérité des nations et de la paix, au détriment, potentiellement, de la souveraineté arménienne.
Des conséquences géopolitiques et économiques
L’Arménie prend ainsi ses distances avec deux États clés qui s’opposent au projet : l’Iran et la Russie. Or, ce sont précisément ces partenaires qui constituent aujourd’hui l’essentiel de ses échanges commerciaux, la Russie absorbant à elle seule 42 % des exportations arméniennes.
Un impact politique lourd
L’accord vient, de facto, entériner l’annexion du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan. Le Groupe de Minsk, qui portait la médiation internationale, a été dissous, une évolution saluée par Paris. Le projet inclut également un droit de passage « sans entrave » pour l’Azerbaïdjan à travers le Syunik, placé sous garantie internationale, ce qui rendrait toute remise en cause unilatérale par Erevan juridiquement contestable.
Dans ce contexte, évoquer le sort des otages arméniens détenus à Bakou ou le droit, pourtant reconnu par la Cour internationale de justice, pour les Arméniens du Karabagh de retourner sur leurs terres, semble presque secondaire, voire incompatible, avec ce grand chantier commercial. Car le commerce international doit triompher : il serait, dit-on, la source de tout bien-être.
Des implications stratégiques
La route relierait directement l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan, puis à la Turquie. Pour Bakou et Ankara, alliés historiques, ce sera un atout stratégique supplémentaire. Pour Erevan, le gain reste hypothétique : la portion arménienne de l’itinéraire ne mesurerait que 42 km, et ses bénéfices économiques semblent limités.
Au fond, la question dépasse largement la construction d’une route : elle engage une orientation stratégique majeure. Les autorités arméniennes ont choisi de parier que le renforcement de leurs adversaires historiques pourrait ouvrir la voie à la stabilité et à la prospérité. Mais doivent-elles craindre que cette concession, comme celle de 1921, ne devienne un choix aux conséquences irréversibles ?
Reste à savoir si le commerce international saura triompher de la politique turco-azérie, là où l’idéal communiste avait échoué. C’est la promesse brandie aujourd’hui par Donald Trump et par les autorités arméniennes. La réponse se trouve évidemment dans la question.
Hovhannes Guevorkian
Représentant de l’Artsakh en France